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VN#31 Attendre 75 heures à Nice

Des hauts et débat Après deux jours en Lozère, nous repartons vers le Cantal. Que nous vaut ce pas pressé, nous qui ne l'étions pas, pressés, jusque là ? Pas de doute, c'est bien la relance de Corsica Ferries : Pouvez-vous me dire à quel moment vous souhaitez voyager ? La Corse, on l'avait tant rêvée, cherchée, abandonnée... Et voilà que l'on nous donnait maintenant le choix de la date ! - "Dimanche ou lundi, comme vous préférez", répond-on, un poil trop polis. - D'accord, alors je vous propose la traversée de Nice à Ajaccio, entre 14h30 et 20h. Par contre, il y a les taxes portuaires et de sûreté que nous ne pouvons pas vous offrir, malheureusement." L'avantage du rond-point en Lozère, c'est que la faible densité du trafic nous laisse le temps de réfléchir et d'échanger. En l'occurrence, le débat est simple : aller en Corse en "ferry-stop" avec les taxes, ou respecter à la lettre notre règle "sans argent" ? On se dit qu'on va appeler Nans, ou Jeanne. Ou alors on demande aux futurs conducteurs du jour ce qu'ils en pensent ? Et puis on se regarde. Et on se dit qu'on va y aller, en Corse ! Les taxes portuaires, c'est un peu nos "visa" à nous du voyage en France, et puis l'important n'est pas dans ces 20€ que nous débourseront (aller/retour). Nous allons découvrir la Corse et les Corses ! Mieux, nous allons terminer ces 10 mois d'aventure en Beauté, sur l'Île de Beauté !

Corsica Ferries ne répond plus

Alors oui, chaque décision a ses conséquences. La première, c'est que du Cantal, nous ne verrons pas grand chose. Saint-Flour et sa ville haute, des routes de campagne aussi peu fréquentées qu'en Lozère. Puis la Haute-Loire. Nous y sommes déjà passés deux fois sur ce voyage. A La Chaise-Dieu fin octobre, passant une après-midi dans une coloc "alternative" et en attendant Patrick, notre conducteur-hôte. Alors, on n'attend pas Patrick ? Bah si, et en jouant au mölkky en plus. Et puis le jour du printemps aussi, en repartant de Saint-Etienne. Le jour le plus froid de notre aventure. Quand, sur un plateau enneigé, nous avions dû attendre deux heures avant de retrouver quelques degrés. A chaque fois, nous n'avions pas atteint le Puy-en-Velay. Ce soir, on y va tout droit. Notre nouvel itinéraire vers l'est a pour but de nous faciliter la tâche le lendemain, jour de notre descente à Nice. D'ailleurs, on part quel jour ? Corsica ne répond plus. Au Puy-en-Velay, difficile de rater les signes religieux. Et ce soir, on reçoit aussi des signes. D'abord, il y a Pierre. Le premier vers qui on s'élance pour trouver un hébergement nous répond : "bien sûr que vous allez dormir chez moi, ce sont les autres, ceux qui refusent qui sont cons !". Une générosité entière mêlée à une colère profonde. Et puis après, la douche froide. Celle du ciel. Le genre d'orage qui ne fait pas dans la dentelle, même au Puy. Dans la voiture de Pierre, nous comprenons qu'il a d'autres priorités que la conduite. Très loin devant : l'accueil des migrants et son combat contre la solitude. Nous passons une soirée intense, où notre hôte nous déballe toute sa vie, et parfois, sourie.

Descendre, des doutes et des légumes

Dans nos chaussures pas encore sèches, nous sortons nos pouces pour repartir du Puy-en-Velay. Plus de nouvelle de la compagnie maritime depuis que nous leur avons envoyé notre numéro de carte pour les taxes. Heureusement, nous ne sommes pas paranos ! De bon matin, nous arrêtons une voiture qui arrive des Yvelines. Le couple de médecins, aussi futé qu'un bison un samedi de juillet, n'emprunte pas l'autoroute. Peu importe puisqu'ils vont nous descendre près d'Orange. Un lift de 175 kilomètres comme on dit. Ou un peu plus, car un coup de fil de leur fille à l'aéroport les fait revenir sur leurs pas à Aubenas pour trouver un moyen de remplir une autorisation de sortie du territoire. Après avoir testé un commissariat fermé et un hôtelier réfractaire, c'est auprès d'une banque qu'ils trouvent de l'aide. Ils nous déposent à Orange, en nous indiquant le chemin et le nom d'un sirop contre la toux pour Pierre-Elie. Une Drômoise descendant chercher sa fille à Marseille et deux jeunes rentrant de vacances après avoir dépensé 3000 euros en deux semaines nous ramènent à Nice, trois mois après ! Ayant tenu informés nos hôtes varois Sébastien et Elodie, ils nous envoient le contact d'un ami à eux qui habite à Nice et pourrait nous héberger. Comble de la chance, Fred habite près du port ! Nous arrivons chez lui les bras chargés d'une cagette remplie de fruits, légumes, oeufs et même d'un liquide-vaisselle tout juste récupérés dans un magasin bio que nous avions déjà visité en avril. Fred est cool, travaille dans la décoration événementielle et a deux apparts à Nice. Ce dimanche, il part travailler tôt, et il nous laisse un jeu de clés pour que nous puissions partir plus tard. Le ferry n'est qu'à 14h30.

Un week-end à attendre Enfin, peut-être. Si "JC", notre contact de Corsica Ferries nous répond. Dans l'état actuel des choses, nous ne pouvons pas nous présenter à l'embarquement en expliquant notre histoire. Enfin si, mais personne ne nous croirait... On n'a pas de billet, juste un ou deux mails qui évoquent un Nice-Ajaccio dans l'après-midi. Mais l'après-midi de quel jour ? Personne ne sait. Seul JC peut nous sauver, mais cela fait maintenant 48 heures qu'il n'a plus réagi à notre dernier mail (oui, celui avec le numéro de CB). Le numéro de son bureau sonne dans le vide. Ah ça, il a dû sonner son téléphone. Au standard, on a plus de chance, et après avoir rappelé 4 fois pour tomber sur les salariés de Bastia, on nous confirme qu'il est en week-end. Nous passerons donc une seconde nuit à Nice. Une seconde nuit chez Fred. Il est si "cool" qu'il n'hésite pas à nous livrer ses doutes sur l'intérêt de voyager sans argent. "Ma pote m'a demandé si, au moins, vous étiez arrivés avec un pack de bières et j'ai dit "non" ". Nous lui expliquons ce que nous vivons depuis plus de 9 mois, l'échange, l'imprévu, la rencontre. Incompréhension. Dans notre voyage, les rares fois où la rencontre s'est organisée à l'avance (1 Couchsurfing et 1 ami d'ami), nous avons vécu une sorte de déception mutuelle. La dépendance matérielle à l'Autre devenant pesante et gênante. Dans les deux cas, nous avions "atterri" dans ces villes pour une raison autre que la rencontre. Nous en déduisons que notre niveau d'implication dans ces rencontres devait lui aussi être une des explications de la déception. Quoi qu'il arrive, nous partons demain. "Dimanche ou lundi", comme nous avions répondu à JC. Mais nos premiers coups de fil de la matinée ne donnent rien. Les suivants non plus.

Au standard de Bastia, on nous indique qu'ils n'ont pas vu JC ce matin. Rien sur notre boîte mail non plus, et ce n'est pas faute d'appuyer frénétiquement sur le bouton "actualiser". Sur le port de Nice, on a désormais notre place. A l'ombre, derrière les sanitaires réservés aux plaisanciers. Idéal pour attendre. Attendre. On a l'impression de passer juillet à attendre. On a l'impression d'être devant la maison du bonheur, mais sans les clés.

Wilfried, notre Prince de Monaco Mais nous ne perdons pas espoir. Ou pas tout de suite. Lorsque M6 avait diffusé son reportage sur notre voyage, nous avions reçu un message de Wilfried, nous invitant chez lui, si nous passions dans le coin. "Chez lui", c'était à Roquebrune Cap Martin, à côté de Monaco. Et à ce moment là, nous ne pensions pas revenir dans les Alpes-Maritime. Nous lui écrivons, et il nous répond rapidement. Rendez-vous est pris chez lui, en fin d'après-midi, et il propose même de venir nous chercher. Pendant dix mois, notre ego d'autostoppeurs aura toujours cherché à arriver à destination, dès lors qu'il y en avait une. Et la magie de l'autostop faisant le reste, nous arrivons toujours à destination... Nous nous payons même le luxe (c'est une expression !) d'une visite de Monaco, grâce à notre "auto-guide" qui nous a pris à Nice. A Roquebrune, nous rencontrons donc Wilfried, la quarantaine, une chaîne en argent autour du cou. Malgré les nombreuses propositions reçues sur Facebook, c'est la première fois que nous répondons à une invitation. et c'était probablement la meilleure idée que nous ayons eue. Wilfried est heureux de nous rencontrer et encore plus de nous faire découvrir sa région d'adoption. Ce Haut-Marnais travaille à Monaco comme gestionnaire d'une cave d'un grand hôtel. Il a réalisé son rêve en venant ici et se demande toujours "comment les touristes font pour repartir d'ici à la fin de leurs vacances ?". A Menton, nous arpentons la vieille ville avant de goûter la socca, spécialité locale à base de farine de pois chiche. Notre hôte nous achète aussi à manger pour le lendemain midi et le soir nous passons des heures à discuter sur sa terrasse, avec vue sur la mer ! Une rencontre qui tombe à pic, idéale pour se changer les idées. Demain est un autre jour. Qui arrive pourtant assez vite puisqu'il est 5 heures lorsque le réveil sonne. Wilfried embauche tôt et regrette qu'on ne soit pas venu chez lui quelques jours avant ! Nous nous quittons devant "son" hôtel. Dans le port, des cormorans en apnée coursent des bancs de poissons. Sur les quais, des personnes en jogging ne courent après personne.

Quelle fin pour notre voyage ?

Et nous marchons dans Monaco alors que le soleil se lève. À Monaco, l'urbanisation repousse les limites, dans les airs et surtout, sur la mer. Il y a même des ronds-points sous des ponts. Nous nous installons à l'un d'eux. Pas vraiment le temps d'en profiter qu'une voiture s'arrête déjà ! Son conducteur est agent de sécurité et vient de terminer sa nuit de travail. Il prend pourtant le temps de nous déposer au port de Nice. Ses yachts, ses voiliers et l'ombre à côté des sanitaires des plaisanciers.

Toujours rien au téléphone, au standard ou dans nos mails. Anouk n'y croit plus, Pierre-Elie est toujours malade et compte bien profiter de cette matinée pour rattraper quelques heures de sommeil. Nous grimpons au parc de la Colline du Château. On rappelle. On actualise. On se demande combien de temps durent les week-ends en Corse. Puis on fait le compte. Dans deux jours, sur le plateau du Larzac, commence le festival du voyage lent où nous avions prévu de terminer notre aventure avant ce rebondissement corse. Donc si on abandonne, demain risque d'être le dernier jour où l'on peut stopper librement. Peut-on partir de Nice sans réponse ? Sans savoir pourquoi nous n'avons plus de nouvelle ? Y a-t-il eu désaccord entre deux décideurs de la compagnie ? Ce que l'on sait en revanche, c'est que la chaleur de l'après-midi nous dissuade complètement de partir maintenant. Nous nous réfugions à la bibliothèque. À Nice, il y a des caméras de surveillance partout et les toilettes de la bibliothèque sont payantes (les toilettes publiques aussi, évidemment). De petits détails qui traduisent de "grandes" idées.

Un coup de téléphone, simple, basique. Et puis le coup de fil que l'on n'attendait plus. Anouk sort de la bibliothèque pour répondre. Pierre-Elie a simplement le temps de comprendre que JC a réapparu, un vrai miracle ! Il était en déplacement et n'a pas pu nous répondre avant. Mais on part avec le ferry de 22 heures. On. Part. Avec. Le. Ferry. De. 22 heures. Au téléphone, JC demande à Anouk quelques anecdotes sur notre voyage et lui dit que c'est le genre de projets qui le passionne et qu'il est très heureux de pouvoir nous soutenir. En quelques secondes, nous oublions les heures et les jours d'attente. Ça y est, nous partons pour la Corse !! À cet instant, nous sommes les deux êtres les plus heureux de cette bibliothèque. Nous passons ensuite au magasin bio à l'heure de la fermeture et récupérons de quoi manger plusieurs repas. Près du magasin, nous rencontrons Miléna, une Niçoise de notre âge, intriguée par le fait que nous filmions des bananes sur une poubelle. Ça peut se comprendre. Nous lui présentons notre voyage et lui annonçons que nous partons en Corse ! Nous nous donnons rendez-vous à notre retour pour fêter ce qui sera alors la fin de dix mois d'aventure... Il est 21 heures et nous avons franchi le contrôle des bagages. Nous prenons en photo un père et sa fille, tout sourire, près à embarquer eux aussi sur le gros bateau jaune et bleu. Et puis nous montons, merci Corsica Ferries.

La Corse en ferry-stop !


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