Fragiles et simples, qui sommes-nous !? "Vous avez des endroits que vous voulez voir absolument ?" Nous ne sommes pas partis sur un coup de tête, comme certains conducteurs nous demandent parfois, loin de là. Un an pour préparer un voyage sans argent et sans itinéraire, c'est bien le temps que nous avons pris. Pendant plusieurs mois, nous avons réfléchi au type de voyage que nous voulions, et il s'en est dégagé un cadre... le plus souple possible.
La durée tout d'abord : 4, 6, 10 mois ? Peu importe après tout, nous avons le temps, mais nous resterons à l'écoute de nos envies et énergies ! L'itinéraire ensuite : plus nous définirions un trajet précis, moins nous préserverions la liberté d'aller là où bon nous semble, en fonction de ce que la route nous propose... Nous laisserons les rencontres (, la météo) et l'atlas nous guider.
Les étapes aussi : un maître-mot, la spontanéité ! Nous ne voulions pas lancer un énième "tour de France des alternatives" ou nous rendre d'amis en amis à travers le pays. Ce serait sûrement bien sympa, mais nous préférons là aussi laisser faire le hasard. Choisir des endroits à voir absolument, c'est refuser de déconstruire nos a priori sur certaines régions où il n'y aurait "rien à voir", souvent, c'est celle(s) où on ne connait personne d'ailleurs ! Pas d'hébergement via couchsurfing non plus, ni de "petits boulots" ou woofing. Le grand avantage, c'est que nous n'avons pas d'horaire ! Une seule limite cependant : les frontières de la France hexagonale. C'est souvent là que l'interlocuteur reste sceptique. Pour nous, c'est à la fois une envie profonde de découvrir un pays que nous ne connaissons que très partiellement, mais également un moyen de montrer que le Voyage ne commence pas forcément à la sortie d'un aéroport...

"Et pourquoi le fait de pouvoir donner nous interdirait de prendre le rôle de celui qui a besoin d'aide ?" *
Un de nos principaux chantiers avant le départ a consisté à préparer les outils et les manières de transmettre et partager ce que nous allions vivre. Ce qui nous rassure, c'est que nous étions donc persuadés qu'il y allait avoir des choses à raconter, la foi en l'Humain, ça, nous l'avons ! Le site et la page Facebook serviraient à témoigner sous forme d'articles, de photos et de vidéos tout au long du voyage. Nous nous réjouissons que la page Facebook représente déjà un carrefour de toutes les personnes nous ayant apporté leur aide une minute, une heure ou un jour depuis le départ, c'est nouveau pour nous, mais nous ressentons que ce voyage est aussi celui des personnes qui le vivent à travers nous. Nous avons également emporté de quoi faire un film sur le voyage, tout en sachant que les premières semaines serviraient à mieux comprendre la forme que cela pourrait prendre. Nous proposions enfin à l'association L'enfant à l'hôpital un partenariat afin que des jeunes en situation d'exclusion scolaire suivent nos aventures. A ce jour, trois classes voyagent avec nous, grâce à l'article que nous publions sur leur plateforme tous les vendredis et les échanges qui s'en suivent. Ils nous apportent une autre vision sur notre voyage
"En fait, on a préparé nos sacs... et notre attitude." *
Pour définir la "simplicité", je n'aurais pas donné mon sac en exemple. Une grosse vingtaine de kilos qui forcent à reconnaître qu'on ne se défait pas d'une vie de sédentaire en quelques semaines ! En ce qui concerne l'attitude, c'est la dépendance aux autres. Ce que les autres voyageurs "alternatifs" cyclistes et marcheurs ne conçoivent que très peu : nous recherchons la "fragilité volontaire" comme disent Camille et Maxime, auteurs de Lumaca, un récit de voyage sous forme de BD. "Assumer sa fragilité crée du lien social" * : en tant qu'autostoppeurs, nous ne parcourrons la France que si des conducteurs et conductrices ne nous prennent !
Il faut donc oser demander et oser recevoir.
Oser demander, c'est prendre le risque que l'on vous dise "oui" ! Que ce soit pour la récup' (invendus ou autres !) ou lorsque nous frappons aux portes pour demander à planter notre tente dans le jardin, nous sommes les premiers surpris des nombreux gestes de générosité ou de la simplicité avec laquelle l'on répond à notre demande. Si plus personne ne demande, qui saura qu'il peut y avoir des "oui" ? Personnellement, je dois me battre régulièrement contre ma peur de "ne pas déranger" ou pire, de "contrarier" mon interlocuteur ! Assumer sa fragilité, ça prend du temps, c'est un apprentissage de tous les jours !
Oser recevoir, c'est "avouer qu'on a besoin d'aide" *. Malgré les apparences, cette position n'est pas forcément évidente non plus, surtout sur une aussi longue période. Nous sommes tour à tour passagers, invités, glaneurs... quand d'autres "payent leur loyer" et "sont dans le système" comme nous a répondu plutôt hostilement un gérant de "La Mie Câline" lyonnais. Apprendre à recevoir le "non", aussi. Pourtant, pour l'hébergement notamment, nous n'avons souvent pas à demander. La proposition nous est faite spontanément par un conducteur ou une conductrice.

Un lien social devenu invisible ? Mais alors pourquoi rencontrons-nous si peu de confiance en l'Autre ? Dans plusieurs régions, des conducteurs nous ont affirmé : "heureusement que je me suis arrêté sinon vous auriez pu attendre longtemps ! Dans le coin, ça ne prend pas beaucoup, les gens sont méfiants..." et nous enchaînions les voitures plus vite que jamais. Les premiers jours, nous racontions être hébergés le soir. Autour de nous, notre entourage ou même nos hôtes nous disaient d'en profiter, certainement la chance des débutants ! Un mois plus tard, nous avons dormi chez l'habitant-e tous les soirs et les réactions sont agréablement surprises. "Il y aurait donc de la générosité en France ?" nous demande-t-on. Mais oui ! Cela semble si simple aux personnes qui nous prennent en stop de nous inviter chez elles, de nous considérer comme leurs invités, leurs amis ou leurs enfants... n'en feriez-vous pas autant ? Alors le problème est-il ailleurs pour que nous doutions de ce qui se passe tous les jours dans notre pays ? Nous abordons là une question bien vaste que je laisserai aux vacanciers du moment !
"C'est comme ça que se tisse le lien social, par des relations qui ne durent que le temps d'un service rendu." *
Nous reprenons la route une nouvelle fois ce samedi. Simplement. En provoquant les rencontres, nous recevons le Bon de chacun-e, en essayant de nous adapter aux personnes que nous avons en face de nous, nous ouvrons notre esprit à d'autres expériences de vie, d'autres rapports au monde. Et même si nous vivrons certainement quelques galères pendant le voyage (une nuit dehors dans les Pyrénées en décembre, au hasard), ces moments nous enseigneront aussi quelque chose. Nous avons choisi de découvrir la France en voyageant sans argent, et nous apprenons tous les jours à demander, à recevoir et à remercier. Pourvu que ça dure !

Retrouvez toutes les BD des chouettes Camille et Maxime sur leur site.
* : d'ailleurs, dans cet article, les citations suivies d'une astérisque ont été tirées de leur BD sur la fragilité que l'on vous recommande absolument !
