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VN#25 Éco-hameau et hors-bord stop

Nous stoppons avec les Alpes comme décor, et l'Isère comme objectif de la journée, les sourires et la bonne humeur sont de sortie. Un superbe camion bleu turquoise s'arrête à notre hauteur : c'est Julien, il est ingénieur son dans le spectacle vivant. Il nous propose rapidement de nous emmener à Grenoble où il doit aller cet après-midi. C'était sans compter sur son camion, très beau mais plutôt âgé qui déraille un peu surtout au niveau des disques de frein. Ils bloquent la roue et cela s'avère plutôt embêtant dans les virages en descente ! Nous roulons très doucement et nous revoyons à la baisse là où Julien peut nous déposer. Anouk, à l'arrière, signale la fumée qui s'élève au niveau de la boîte de vitesse, juste au moment où Julien nous dégote un rond-point parfait. Nous le quittons un peu soucieux en le voyant asperger d'eau sa roue avant gauche pour la refroidir...

Nous poursuivons notre route grâce à une jeune maman secrétaire de gendarmerie puis avec un professeur de maths parisien qui nous fait franchir la frontière de l'Isère en allant chercher un lavabo pour la maison de famille. Nous pique-niquons à Corps et nous procurons une carte du département auprès de l'office du tourisme. Depuis quelques jours, nous naviguions à l'aveugle. Retrouvant le bonheur de la carte, nous rêvassons dessus plusieurs minutes. A ce moment là, un camion blanc s'arrête à notre hauteur, la porte s'ouvre et nous voyons alors apparaître Julien, le sourire aux lèvres ! Nous montons donc dans son bolide, plus jeune et plus fringuant, et découvrons avec lui le paysage isèrois. Il nous parle d'un certain Stéphane, charpentier, qui habiterait "au bout à gauche" d'un village auprès duquel il passe et qui "pourrait être vraiment content" de nous accueillir dans son éco-hameau. Munis de toutes ces informations et tout ce conditionnel, il nous dépose sur la route de cet homme dont nous ne savons rien. Nous marchons quelques kilomètres et nous arrivons à destination. Une femme avec ses trois enfants nous accueille et nous oriente un peu plus haut dans l'éco-hameau. Nous rencontrons alors Mathias et son fils Toine de 2 ans qui bricolent ensemble. il nous annonce que Stéphane est parti pour quelques jours.

"Mais si vous cherchez un endroit où dormir, il y a plein de place ici" ! Il nous met alors à disposition tente, couettes, matelas, oreillers et vue imprenable sur les montagnes comme emplacement de camping. Il fait très bon et nous les aidons à travailler la terre pour préparer leur potager. Nous rencontrons ensuite Aline, sa compagne et partageons le repas tous ensemble. Ils sont bergers et nous racontent comment ils sont tombés amoureux de l'alpage malgré les contraintes énormes qu'il implique, notamment depuis l'arrivée de Toine. Nous restons avec eux deux jours, le temps d’apprivoiser Toine, de rencontrer les brebis, de donner le biberon à quelques agneaux et de comprendre le fonctionnement semi-collectif de ce havre de paix au milieu des montagnes. Lorsque nous repartons, nous n'avons quasiment pas vu le bout du nez de ce mystérieux Stéphane qui restera pour nous inconnu mais qui nous aura permis une superbe rencontre avec cette famille si tranquille et ressourçante.

Dans notre viseur, nous voyons apparaître la Savoie et nous nous rappelons avoir promis à Emi (nous l'avions rencontrée à Blois) que nous passerions par chez elle à Chambéry lorsque nous serions dans le coin. Nous contournons alors avec minutie Grenoble en pique-niquant à Vizille dans l'immense parc du château. En pleine période de déclaration d'impôts, nous atterrissons dans la voiture d'un couple qui parle chiffres sans trop se rendre compte que nous sommes à l'arrière, puis nous montons à bord d'un van aménagé d'une retraitée dévouée à l'accueil des migrants à Briançon. Après les tensions violentes dues aux actions médiatiques d'un groupuscule d'extrême-droite, elle part se mettre "au vert" une semaine chez des amis. Elle nous raconte alors la précarité de l'accueil d'urgence qu'ils peuvent offrir aux migrants qui arrivent frigorifiés dans un état parfois critique et la frustration de faire du mieux que l'on peut sans que cela ne puisse être suffisant.

Nous retrouvons donc Emi qui travaille dans la communication d'entreprises et nous rencontrons Laurie, sa copine, qui fait un master dans l'humanitaire. Heureux de nous poser, nous prenons notre temps avec elles et découvrons cette ville que nous ne connaissions pas. Nous passons même quelques heures avec Anick-Marie , auto-stoppeuse convaincue et convaincante, que nous avions eu l'occasion de rencontrer dans plusieurs festivals ! Nous apprécions ces moments qui nous permettent d'aller plus loin dans notre réflexion quant à nos pratiques dans le voyage.

Le lendemain nous reprenons la route vers la Haute-Savoie, un nouveau département ! Emi et Laurie nous avancent sur la bonne route et nous décollons de Chambéry grâce à un musicien algérien joueur de guembri, instrument à cordes rectangulaire. Il nous montre même des vidéos sur son portable, c'est très beau mais un peu flippant car il est plus absorbé par le téléphone que par la route... Le ciel se couvre mais nous voulons avancer encore avant de manger. Nous rencontrons alors Charlotte, jeune femme saisonnière dans la montagne et qui veut nous pousser jusqu'au prochain village. Elle est complètement conquise par notre aventure et par le stop et décide de ne pas reprendre l'autoroute pour participer au voyage et nous déposer après Annecy car elle ne peut pas nous héberger. Remplis de l’énergie de cette rencontre, nous nous remplissons à présent l'estomac pour braver la météo qui s'annonce moins clémente pour la suite de la journée. Nous nous apercevons aussi trop tard que nous avons oublié nos beaux chapeaux de pailles dans sa camionnette... Un jeune coach sportif s'arrête au rond-point. Pendant le trajet il nous raconte ses voyages en Asie avec un regard plutôt "occidentalo-centré" qui excède Anouk. Et encore ce manque de confiance en l'Autre que l'on retrouve sur "les Français ne sont pas accueillants", "le stop ça ne marche plus, vous avez de la chance que je vous prenne"... mais il nous amène quand même jusqu'à La Roche-sur-Foron que nous visitons brièvement. Anouk commence à craquer complètement : "j'en peux plus des gens, ils arrêtent pas de faire des généralités, le mec il savait tout, il avait la vérité incarnée, j'avais même pas envie de lui répondre". Pierre-Elie essaie de faire tampon et tente de remotiver Anouk comme il peut. Nous recommençons le stop et très vite deux étudiantes, Clarisse et Rachelle s'arrêtent mais nous préviennent qu'elles ne vont pas très loin. Sentant les premières gouttes de pluie arriver, nous insistons pour avancer un peu avec elle. En quelques minutes, elles comprennent que nous avons tout notre temps et nous invitent à une après-midi jeux de société et jacuzzi ! Nous arrivons donc chez Julie où Christine et Philippe sont déjà là. Rachelle leur raconte qu'elle ramène "deux auto-stoppeurs". Après plus d'une demi-heure de discussion, lorsque nous racontons notre voyage, tout le monde s'exclame : "Ahhh ! Mais ce n'était pas une blague ! Vous êtes vraiment des auto-stoppeurs !". L'ambiance est aux rires et aux jeux ! Une après-midi parfaite qui remonte le moral d'Anouk grâce à l'univers des jeux de plateaux. La joyeuse bande nous raconte le contexte dans lequel ils se sont rencontrés. Des jeux Grandeurs Natures, où chacun incarne des personnages de fiction inspirés de l'univers médiéval et fantastique. Ils nous racontent leurs anecdotes les plus invraisemblables, les guerres avec des épées en mousses, les pouvoirs magiques qui ne s'activent que si tout le monde a les mêmes règles du jeu et les nuits agitées qui en découlent. A minuit, nous profitons du jacuzzi avec Clarisse en parlant féminisme, nature, tannage de peau d'animaux écrasés et situation politico-économique du coin avec les transfrontaliers.

Avant de quitter Julie nous lui offrons pour elle et sa bande des os de sanglier que nous avons trouvés au fond des gorges du Verdon ainsi que des authentiques ocres de Rustrel. Parfaites pour teindre des habits ou faire des maquillages tribaux ! Nous n'aurions jamais pensé rendre si heureuse une personne avec ce cadeau !

L'objectif de la journée se nomme ensuite le lac Léman. Tous nos conducteurs nous conseillent alors Yvoire, très beau mais très touristique. Nous enchaînons les voitures de villages en villages et tombons finalement sur Yves et Ingrid, justement en route pour Yvoire ! Il est pilote d'hélicoptère dans le civil et elle est journaliste à France 3 Alpes. Ils vont voir un voilier qu'ils ont acheté récemment avec plusieurs copains, il ne leur reste plus qu'à apprendre à en faire ! Ils ont déjà acheté avec la même bande d'amis un hors-bord et ont passé le permis bateau. Nous arrivons donc à Yvoire et Ingrid prend notre numéro "au cas où". Nous visitons ce très joli petit village et pique-niquons en compagnie des oiseaux face à cette vaste étendue d'eau. Alors que nous mâchons notre dessert, Ingrid nous rappelle et nous propose de venir les rejoindre pour faire du bateau sur le lac Léman car ils vont faire le plein à Nyon, en Suisse. Le vent dans les oreilles et dans les cheveux, nous en prenons plein la vue et plein les sensations, et Pierre-Elie n'est même pas malade ! Nous apprenons alors à les découvrir un peu plus : ils ont vécu au Maroc un an et y vont depuis très souvent, une expérience qui a changé leur vie. Nous visitons Nyon avec eux puis, sur la vague du retour, ils nous proposent de dormir chez eux et nous indiquent leur village pour que nous puissions les retrouver le soir.

Ils nous déposent en bateau à Nernier, où, ici, les belles façades ne sont pas masquées par les vitrines attrape-touristes. Nous entreprenons ensuite de rejoindre Yvoire à pieds comme nous l'avait conseillé Ingrid. Mais cela s'avère beaucoup plus sportif, certains riverains refusant de laisser un passage d'un mètre vingt réglementaire aux abords du lac. Les pieds mouillés et quelques fous rires plus loin, nous recommencions le stop à Yvoire, ici même où nous avions trouvé l'humain au milieu des touristes. Nous les rejoignons chez eux, près d'Annemasse et nous découvrons leur univers. Des œuvres à partir d'objets de récupération partout dans leur grande maison, des souvenirs du Maroc, des couleurs et de l'absurde. Nous rencontrons leurs filles, Juliette et Célestine, matures et grandies par leur expérience marocaine. Ingrid nous propose ensuite de faire un reportage sur nous quelques jours plus tard, le vendredi. Ce qui nous laisse la semaine pour découvrir la Haute-Savoie et ses habitants.

A force d'entendre dans chaque voiture : "Vous ne pouvez pas partir de la Haute-Savoie sans avoir vu Annecy !", nous décidons d'aller y faire un tour puisque nous avons le temps de faire un peu de tourisme. Nous ne changeons pas les bonnes vielles habitudes et nous déployons notre pouce pour nous y rendre. Nous rencontrons alors Joseph avec ses deux enfants, il est charpentier et a repris des études d'architecte pour nourrir intellectuellement son métier qu'il fait depuis un petit moment déjà. Il nous propose tout naturellement de venir dormir chez lui si nous ne trouvons pas d'hébergement à Annecy. Ravis, nous gardons son contact sous le coude car nous avons envie de rencontrer un peu plus cet homme réservé dont la générosité paraît si simple et évidente. Nous montons ensuite dans la voiture de Caroline, professeure d'anglais et de sa collègue avec qui elle fait du covoiturage. Elles nous amènent à Annecy et nous conseillent les meilleurs endroits. Caroline veut nous inviter chez elle mais elle doit se concerter avec Guillaume, son compagnon. Nous allons donc découvrir l'immense lac d'Annecy ainsi que la veille ville et ses multiples canaux. Guillaume est super heureux de nous rencontrer et nous allons donc passer la soirée et la nuit chez ce couple si accueillant. Eux aussi voyagent, nous échangeons nos anecdotes et frissonnons en regardant leurs vidéos de skis hors piste au Japon !

Sur notre lancée, nous continuons notre petit tour touristique et écoutons les conseils de nos hôtes. Caroline, en partant au travail à 7h00, nous met sur la route du village de Sixt avec son magnifique cirque "Fer-à-Cheval". Nous sommes les premiers arrivés dans ce lieux majestueux et hors du commun accompagnés par les nuages assez bas qui nous garantissent une ambiance digne des livres fantastiques. Nous sommes entourés de montagne de plus de 3000 mètres qui descendent à pic dans le cirque. Nous admirons les nieves, ainsi sont nommés les des tas de neige imposants qui chutent du haut des monts.

Nous pique-niquons là-bas puis repartons prêts à admirer la fameuse ville de Chamonix ! Mais les nuages ne nous laissent même pas entrevoir le Mont-Blanc ! Nous sommes épuisés et de grosses gouttes de pluies nous confirment qu'il serait plus sage de prendre une pause Bandes Dessinées dans la super médiathèque de la ville. Le soir nous rejoignons Joseph chez lui ! Il en profite pour inviter les voisins qui sont très friands de récits d'aventures et de voyages alternatifs. Encore une fois notre carnet de voyage est un outil parfait pour partager des anecdotes, des réflexions, des images de ce que nous vivons.

Le lendemain Joseph doit aller à Lyon pour son travail, il nous laisse la maison, la clef et nous dit de rester autant de temps que nous voulons. Nous sommes vendredi et nous avons rendez-vous avec Ingrid et France 3 Alpes ! Accompagnés de la caméra nous nous mettons en situation et répondons à ses questions très pertinentes. C'est un plaisir de faire cela avec elle et son cameraman, nous sentons que ce qui les intéresse c'est la philosophie du voyage et non le sensationnalisme. Le soir Ingrid nous invite à Annecy pour un concert Touareg caritatif organisé par sa mère au profit de son association qui creuse des puits dans le désert du Niger. Moment fabuleux où nous retrouvons toute sa famille et c'est l'occasion aussi de les découvrir plus amplement. Particulièrement le départ de France douloureux pour leurs filles vers le Maroc, puis l'année merveilleuse qu'ils ont passée là-bas tous ensemble. Yves nous ramène ensuite chez Joseph, dans notre "chez nous" temporaire.

Le soir même nous sommes contactés par Quentin et Amandine, deux voyageurs auto-stoppeurs au long cours. Ils partent sans argent sur la route des réfugiés à contre-courant avec leur nouveau spectacle de clown, ce sont les Nez du monde. Ils viennent de passer chez Anick-Marie à Chambéry qui leur a parlé de nous et veulent nous rencontrer puisque nous sommes dans le coin. Nous pouvons les inviter "chez nous" le lendemain midi, un plaisir de pouvoir à notre tour accueillir des voyageurs. Pour préparer à manger, Anouk va récupérer les invendus de la biocoop, un vrai trésor : des nuggets de légumes, des yaourts, un chou brocoli, des carottes, du pâté végétal ! Nous nous régalons de notre cuisine autant que de notre rencontre, cela nous fait tous tellement du bien de pouvoir partager notre voyage, d'autant plus avec des amis qui nous comprennent à 100% ! Au milieu de l'après-midi, Quentin et Amandine nous invitent avec eux à rendre visite à l'improviste à Graziella : une grand-mère qui les avait accueillis lors d'un voyage précédent. Et si nous faisions du stop à quatre ?! Nous rangeons la maison, écrivons un petit mot de remerciement sincère pour Joseph, puis nous mettons au bord de la route. Au bout de quelques minutes une voiture s'arrête mais lorsque nous nous approchons nous nous ravisons : à l'arrière deux marmots dans des sièges bébés mangent des glaces et la voiture est absolument remplie jusqu'aux vitres d'objets divers, de plantes, de jouets, de chaussures, d'habits.

"- C'est pas grave madame, ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas longtemps qu'on attend.

- Mais vous rigolez ou quoi ? Bien sûr que ça va rentrer ! Moi j'ai fait du stop en Inde et partout dans le monde pendant 12 ans, je vous assure que vous allez tous tenir ! Je sens qu'il faut que je vous prenne !"

Nous sommes sidérés. Nous entassons tous les objets dans le coffre auquel nous rajoutons nos quatre sacs en claquant un grand coup. Audrey nous installe deux par siège en nous montrant comment nous mettre le plus ergonomiquement possible. Et démarre une folle aventure de 15 kilomètres avec elle. Elle vit, elle aussi, presque sans argent, elle récupère tout ce qu'elle trouve : c'est un vrai mode de vie minimaliste hérité de ses nombreuses pérégrinations ! En voyageuse aguerrie elle nous raconte des anecdotes plus incroyables les une que les autres. Lorsque nous lui expliquons nos voyages elle est absolument émerveillée. Nous nous quittons émus par cette rencontre insolite aussi touchante qu'explosive. Nous mettons quelques minutes pour nous remettre de cette expérience et Quentin nous dévoile sa pensée : "C'est fou, il y a des gens qui ont de la place dans leur voiture mais pas de place dans leur tête et puis il y en a qui ont tellement de place dans leur tête qu'ils créent de la place dans leur voiture pour nous aider !" Une incroyable leçon du voyage qui nous fait bien prendre conscience que les plus grosses barrières qui entravent notre liberté c'est souvent nous, qui nous les mettons !

Nous tendons nos quatre pouces une nouvelle fois encore tout troublés, en quelques instants Sébastien, un jeune passionné de sport, nous emmène dans un petit village jusqu'à l'entrée de la maison de Graziella. C'est le moment de vérité, est-elle présente chez elle ? Oui ! Elle nous accueille à bras ouverts ! Elle habite une immense maison avec un superbe jardin où coule un ruisseau devant lequel nous nous installons pour goûter. Nous jouons aux dames en racontant nos vies. Quel bonheur de partager ces retrouvailles avec nous ! Lorsque nous repartons tous les deux le lendemain, Graziella nous dit de revenir quand nous voulons, et même sans prévenir si nous préférons ! Elle a bien compris comment appâter les voyageurs que nous sommes !


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